top of page
ARBRE JAUNE PIN.jpg

Les Arbres

"Choisir l'arbre comme sujet principal de mon travail est une façon de rappeler l'importance de son rôle sur notre planète, de promouvoir le respect de la nature, l'écologie, de... " STOP !

Tout ça, vous le savez déjà. Alors, même s'il est vrai que le choix de ce sujet est motivé entre autres par l'éco anxiété généralisée, je ne vous servirai pas un discours que GreenPeace et le WWF maîtrisent bien mieux que moi. Quelque chose d'autre motive ma démarche...

Il y a quelques temps, une amie sculptrice a ouvert son atelier au public. Elle habite une maison à la campagne et avait installé ses oeuvres en métal dans le jardin. Une petite fille de 7 ans à peine se promenait avec son grand-père. Ils admiraient les sculptures installées ici et là. La gamine s'est arrêtée net devant un pied de lavande. Les yeux écarquillés, elle a crié : "Regarde ! Papi ! Papi ! Un papillon tout blanc ! Oh ! Y'en a deux !"

En effet, deux papillons butinaient les fleurs. Des papillons blancs à point noir, tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Fascinée, la petite a ajouté pour elle-même "ils sont trop beaux..."

On avait l'impression qu'elle voyait des piérides du chou (c'est leur nom commun) pour la première fois. Quand j'avais son âge, l'été, ces papillons envahissaient le jardin familial, avec leurs cousins les "vulcains", les "citrons" et les "paons du jour"... Mais c'est vrai que depuis quelques années, (combien exactement ?) on voit de moins en moins de papillons dans les jardins... Alors, peut-être que oui, cette petite fille voyait pour la première fois de sa vie un papillon, en VRAI.

ARBRE AUX OISEAUX 1755-MB_edited.jpg

On protège d'autant mieux une chose qu'on a une expérience intime avec elle, qu'on en garde un souvenir précis et ému. Pour qu'émerge dans les consciences la nécessité de protéger la nature, il faut que chacun d'entre nous ressente qu'il va perdre quelque chose d'important. Quelque chose qui a fait partie de sa vie mais qui est en train de disparaître. L'Amnésie écologique*, mécanisme psychologique méconnu mais pourtant dramatiquement puissant, doit donc être contourné pour que l'action suive la prise de conscience. Je ne vous ferai pas un exposé ici sur l'amnésie environnementale, ce n'est pas le moment, bien que ce soit très intéressant. En revanche, je vais vous raconter comment le fait de dessiner des arbres pendant de longues heures, sans but précis, a permis à mes souvenirs d'enfance de refaire surface, comment j'ai mesuré l'importance de leur présence dans mon histoire personnelle.

* L'amnésie écologique (parfois nommée amnésie générationnelle ou amnésie environnementale) est un concept développé en biologie de la conservation stipulant que chaque génération considère comme le point de référence initial d'un écosystème celui qu'il a connu depuis sa naissance, engendrant un syndrome de la référence changeante. Cela conduit généralement à une anthropisation et une perte de biodiversité de plus en plus importante, la nouvelle génération prenant appui sur l'état dégradé qu'elle a toujours connu. (merci Wikipedia)

ARBRE PLEUREUR FRUIT 1588_edited_edited.jpg

Dans la première maison où j'ai vécu, quand j'étais enfant, il n'y avait ni salon ni télévision pour s'affaler devant. Mais, à l'arrière de la maison, il y avait un jardin avec plusieurs arbres dont un noisetier et un noyer, très grand. Mes grands-frères avaient suspendu une corde à l'une de ses branches. A partir du jour où j'ai pu jouer seule dans le jardin, les arbres sont devenus mes complices. J'ai appris à grimper sur l'églantier en évitant ses épines pour passer la clôture du voisin, à construire une cabane secrète sous le sapin, à me faufiler entre les branches de la haie de laurier pour quitter le jardin sans être vue. Je m'y suis emmêlée les cheveux, et j'y ai troué quelques pulls...

Le noisetier avait ma préférence. Il était le marqueur de ma croissance : atteindre la branche la plus basse, enfin. Développer mes muscles pour réussir à me hisser dans l'arbre à la force des bras. Améliorer ma souplesse et mon équilibre. Attendre que les noisettes arrivent à maturité, les casser avec les dents avant de les manger. Faire un mauvais mouvement et tomber. Serrer les dents parce que ça fait mal. Remonter.

De mois en mois, réussir à grimper plus haut, pour disparaître dans le feuillage... Sacrifier mes collants neufs et mes chaussures sur l'écorce parce que le plaisir de monter plus haut est le plus fort. Et surtout ressentir la fierté de surmonter la peur, quand enfin je me suis laissée tomber dans le vide depuis la plus haute branche du noisetier, cramponnée à la corde suspendue au noyer voisin. Me balancer haut, survoler le jardin telle une trapéziste (ou Tarzan, selon le thème du jour).

On a déménagé. Le noisetier n'a pas pu venir avec nous.

ARBRE CHEMIN 1757-MB_edited.jpg

Autour du village où ma famille s'est installée ensuite, il y avait une forêt qui abritait les ruines oubliées d'une citadelle du moyen-âge, des plaines, une rivière et des ruisseaux, des arbres partout. Je me baladais dans les bois, en silence, pour voir les animaux sauvages, repérer leurs traces, cueillir des champignons, faire un bouquet de fougères. Je garde en mémoire l'odeur de l'humus, l'air frais, le bruit du feuillage et des bêtes...

Dans le pré en face du jardin, il y avait un arbre immense, au port étalé, au tronc puissant. Je ne sais pas quelle était son essence, peut-être un chêne. C'était un arbre de conte de fée. Je le voyais de la fenêtre de ma chambre. Il semblait avoir toujours été là. Peut-être même, me demandais-je, qu'il avait vu la citadelle debout et Richard Coeur de Lion passer à cheval ?

Il rythmait à lui seul le passage des saisons. Il avait une branche étrange, longue et souple, qui s'abaissait vers le sol, formait une courbe et se redressait vers le ciel. Les vaches se frottaient le dos en passant en-dessous. Pour moi, c'était l'escalier pour accéder au coeur de l'arbre, mon palais. Selon l'humeur du jour, c'était aussi une balançoire de fête foraine, un cheval galopant à travers les plaines américaines, un hamac en Amazonie, un agrès de gymnastique...

ARBRE JAUNE&ROUGE FDN 1785_edited.jpg

Quelques années plus tard, lors d'une visite à mes parents, à mon arrivée j'ai balayé du regard le jardin, puis plus loin le paysage... Stupéfaction ! Le roi de la plaine avait disparu ! "Ah oui, l'agriculteur veut vendre le pré à un promoteur pour construire un lotissement. Il a coupé l'arbre... il devait gêner..." m'a-t-on expliqué sans plus d'émotion. Hébétude. Coeur fendu. Colère. C'est un crime de couper un arbre qui permet en une après-midi de faire du manège, de galoper après les bisons, de faire une sieste chez les indiens d'Amazonie avant de remporter une médaille aux championnats du monde de gymnastique... Il a été abattu, sans plus de cérémonie. Mais, il est parmi les arbres que j'ai dessinés... Bien qu'ils soient imaginaires, ils sont un mélange des arbres complices de mon enfance, mais aussi de ceux croisés ailleurs : un baobab sacré de Madagascar, les arbres des forêts tropicales, le tapis de racines des mangroves, les érables des jardins japonais...

Mes dessins ne peuvent pas raconter toute la complexité et la richesse des arbres. Ils ne peuvent pas rendre compte des dernières découvertes scientifiques sur leur capacité à communiquer entre eux et avec d'autres espèces, à s'entraider, à se soigner... Ils ne peuvent pas empêcher les feux de forêts non plus. Mais j'espère que mes dessins vous donneront envie de prendre soin d'eux et d'en planter quelques-uns.

 

Karine Mardy, septembre 2022

bottom of page